Philippe Gerbay, avoué à la cour honoraire, maître de conférences émérite à la faculté de droit de Dijon.
Le déféré de l’ordonnance du conseiller de la mise en état est régi par l’article 913-8 du CPC qui, à première vue, définit tout à la fois son périmètre et ses modalités. La liste des hypothèses où le déféré est possible semble minutieusement établie. Pour autant, d’autres textes prévoient l’ouverture d’un déféré. Ainsi, l’ordonnance du conseiller de la mise en état déclarant l’appel irrecevable pour défaut de paiement de la taxe prévue par l’article 1635 bis P du Code général des impôts est susceptible de déféré (CPC, art. 964, al. 4). En matière de communication de pièces, mettant en jeu le secret des affaires, la possibilité d’un déféré de l’ordonnance du conseiller de la mise en état est expressément prévue par l’article R. 153-9, III du Code de commerce. Mais au-delà de ces cas particuliers, l’agencement des textes n’a pas, à notre sens, livré tous ses secrets.
L’hésitation vient du libellé de l’article 913-4 in fine du CPC : « dans les cas prévus au deuxième alinéa de l’article 913-1, au troisième alinéa de l’article 913-3 et à l’article 913-5, le conseiller de la mise en état statue par ordonnance motivée sous réserve des règles particulières aux mesures d’instruction. Cette ordonnance est susceptible de recours dans les conditions prévues à l’article 913-8».
Il y a donc une série d’ordonnances inventoriées à l’article 913-4 qui seraient susceptibles de recours dans les « conditions » prévues à l’article 913-8 du CPC qui s’avère être l’article clé en matière de déféré. Il s’agit des ordonnances qui doivent être motivées par le conseiller de la mise en état. Quelle est la nature du recours ? S’agirait-il d’un déféré, d’un pourvoi en cassation voire d’une coquille vide ? (2). Cette question ne peut être abordée sans qu’au préalable soient examinées les hypothèses visées à l’article 913-4 du CPC (1). Cette démarche est incontournable pour nous guider sur la nature du recours.
1 – Les hypothèses visées par le « recours » de l’article 913-4 du CPC
Chacune des hypothèses sera confrontée à l’utilité effective d’un éventuel déféré.
L’article 913-1, alinéa 2, du CPC permet au conseiller de la mise en état d’exercer tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l’obtention et à la production des pièces. Mais, on le sait, il existe un texte spécifique pour le secret des affaires permettant le recours au déféré là où précisément la communication peut être critiquée.
L’article 913-3, alinéa 3, du CPC permet au conseiller de la mise en état de statuer sur les dépens et les demandes formées en application de l’article 700 du CPC. Mais, cela est généralement corrélé à une décision mettant fin à l’instance ou constatant son extinction, décision entrant dans la liste des déférés possibles (CPC, art. 913-8, al. 2).
La référence à l’article 913-5 du CPC au sein de l’article 913-4 est plus intrigante. C’est celle qui retient notre attention. Cette disposition désigne les cas où le conseiller de la mise en état est exclusivement compétent pour statuer, jusqu’à son dessaisissement. Cet article 913-5, très didactique et soigneusement rédigé, se décline en 10 propositions. Précisément, le recours au déféré prévu par l’article 913-8 du CPC est le décalque de l’article 913-5 à quelques exceptions près et pas nécessairement des moindres.
L’attention doit être précisément focalisée sur les ordonnances exclues de la liste des déférés possibles et relevant pourtant de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état.
Tel est le cas des ordonnances :
– allouant une provision pour le procès (ce qui est rarissime) (CPC, art. 913-5, 6°) ;
– accordant une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable (CPC, art. 913-5, 7°) dont le sort sera scellé par l’arrêt sur le fond ;
– ordonnant une mesure provisoire ou modifiant (ou complétant) les mesures déjà ordonnées en cas de survenance d’un fait nouveau (CPC, art. 913-5, 8°). Cependant, si la mesure provisoire est rendue en matière de divorce ou de séparation de corps, ce qui est le cas le plus fréquent, l’article 913-8, alinéa 2, ouvre expressément la voie du déféré. Il est d’ailleurs curieux que cette même possibilité ne soit pas ouverte en cas de modification des mesures accessoires au divorce régies par l’article 1083 du CPC… ;
– statuant sur le fondement de l’article 47 du CPC (CPC, art. 913-5, 5°), mais dans cette hypothèse un déféré est superflu puisque l’ordonnance en la matière n’a pas autorité de la chose jugée au principal (CPC, art. 913- 6 a contrario). La demande peut être réitérée devant la cour.
–statuant en matière d’exécution provisoire (CPC, art. 913-5, 10°), mais la juridiction du conseiller de la mise en état, depuis la généralisation de l’exécution provisoire de droit, est réduite à peau de chagrin.
Si on élimine de résiduelles hypothèses, restent en première ligne et sous le feu d’une discussion qui peut être vive, d’une part, la provision accordée lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, d’autre part, l’expertise ordonnée par le conseiller de la mise en état qui peut être âprement discutée. Quelle est la nature du recours contre ces ordonnances ?
2. La nature du « recours » visé par l’article 913-4 du CPC
Le renvoi de l’article 913-4 in fine à l’article 913-8 du CPC permet-il d’en déduire que le déféré est plus largement ouvert que la simple lecture de l’article le laisse supposer ? Ainsi, si le créancier se voit attribuer une substantielle provision, le débiteur pourrait envisager un déféré. Cela peut se justifier eu égard aux longueurs parfois insensées de l’instance d’appel alors que l’ordonnance peut engendrer des conséquences manifestement excessives.
De même, l’expertise ordonnée par le conseiller de la mise en état peut, dans certains cas, être vivement contestée en ce qu’elle est inutile ou coûteuse ou en ce qu’elle délègue à l’expert la détermination des règles de droit, voire comporte des motifs décisoires. Le CPC permet d’ailleurs au premier président, lorsque l’expertise a été ordonnée par le premier juge, d’autoriser un appel s’il est justifié par un motif grave et légitime (CPC, art. 272). Mutatis mutandis, ne peut-on envisager que l’expertise ordonnée par le conseiller de la mise en état soit contrôlée par la formation collégiale de la cour dans le cadre d’un déféré ?
L’ouverture du déféré dans ces hypothèses supplémentaires n’apparait pas illogique. Il sera pourtant aisé de rétorquer, avec pertinence, que cet élargissement du déféré se heurte à la lecture littérale de l’article 913-8 du CPC. Si les rédacteurs du décret du 29 décembre 2023 (D. n° 2023-1391, 29 déc. 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile) avaient souhaité que la décision du conseiller de la mise en état ordonnant par exemple une provision ou une mesure d’expertise soit contrôlée par la cour, via le déféré, ils l’auraient expressément dit. Peut-on briser le cadre précis d’un article délimitant les cas d’ouverture du déféré par un renvoi incertain d’un article périphérique ? Le déféré, d’ailleurs, est un frein à l’avancement de la procédure. Multiplier les cas d’ouverture occasionnerait à l’évidence une nouvelle cause de retard dans l’attente de l’arrêt au fond.
On pourrait être tenté de donner un sens à la phrase incluse in fine à l’article 913-4 du CPC en soutenant que le renvoi concernerait le seul alinéa 1 de l’article 913-8. Cet alinéa dispose que « les ordonnances du conseiller de la mise en état ne sont susceptibles d’aucun recours indépendamment de l’affaire sur le fond ». Le recours dont il s’agit serait alors le pourvoi en cassation.
Mais là encore l’interprète reste sur sa faim. D’abord l’intérêt de former un pourvoi contre l’ordonnance ayant accordé une provision ou ordonnant une mesure d’expertise apparait résiduel voire inexistant dès lors que le fond a été vidé. Ensuite, l’expression « susceptible de recours dans les conditions (…) » employée par l’article 913-4 du CPC est ambiguë. Elle semble plutôt viser les modalités du déféré que celles du pourvoi en cassation. Enfin, il est paradoxal pour une disposition d’indiquer que l’ordonnance est susceptible de recours… pour renvoyer à un alinéa qui débute par la phrase « les ordonnances (…) ne sont susceptibles d’aucun recours (…) ».
N’appartenait-il pas au « législateur » qui a par ailleurs excellé dans la rédaction du décret du 29 décembre 2023, si telle était sa volonté, de préciser sa pensée ? Il aurait fallu alors que l’article 913-4 in fine se réfère au seul alinéa 1 de l’article 913-8 du CPC. Pourrait-on aussi conclure, assez paradoxalement, que la notion de « recours » est vide de sens, fruit d’une erreur d’inattention rédactionnelle ?
En l’état des textes, on ne saurait blâmer un débiteur sévèrement condamné au paiement d’une provision exorbitante qu’il conteste, d’avoir recours au déféré alors que la porte lui en est entrouverte. Le décryptage de la dernière phrase de l’article 913- 4 reste énigmatique. Faut-il s’en remettre à Conan Doyle ?