Claire Gerbay, avocate au barreau de Dijon, spécialiste en procédure d’appel
La procédure à bref délai a été toilettée par le décret du 29 décembre 2023[1]. Tout semble bien organisé au travers des articles 906 et suivants du Code de procédure civile, notamment en termes de signification de la déclaration d’appel et de délais pour conclure. Mais un grain de sable peut dérégler une mécanique bien huilée. Selon l’article 905 du Code de procédure civile (qui comporte un seul paragraphe, intitulé « L’orientation de l’affaire »), le président de chambre à laquelle l’affaire a été distribuée décide de son orientation, soit la procédure à bref délai, soit la procédure avec mise en état. Le greffe, alors, « en avise les avocats constitués ».
Cependant, il arrive que le greffe tarde à délivrer l’avis de fixation à bref délai. Dans ce cas, la position de l’appelant (I) est plus enviable que celle de l’intimé (II).
I. L’avis tardif et l’appelant
La règle a été fixée par un arrêt de la Cour de cassation du 12 avril 2018[2]. Cette décision, quoique rendue sous l’empire des textes antérieurs au décret du 6 mai 2017[3], conserve toute son actualité. En l’absence d’ordonnance de fixation, dans une affaire soumise de plein droit à la procédure à bref délai, l’avocat de l’appelant n’a aucun délai pour déposer ses conclusions au greffe. On aurait pu imaginer que le délai de droit commun de l’article 908 du Code de procédure civile (trois mois) trouverait à s’appliquer par défaut. La Cour de cassation a écarté cette hypothèse : puisque la procédure relève de plein droit des dispositions de l’article 905 du Code de procédure civile (devenu CPC, art. 906), elle ne peut être soumise aux dispositions régissant la procédure avec mise en état (CPC, art. 908 et s.). Voilà qui met l’appelant à l’abri de toute « déchéance » de son appel. Les délais sont en stand-by. La raison tient au fait que, dans la procédure à bref délai, l’événement qui fait courir le délai pour conclure de l’appelant n’est pas la déclaration d’appel mais la délivrance de l’avis de fixation à l’avocat de l’appelant.
L’intimé est moins bien traité, notamment si l’avocat de l’appelant lui notifie ses conclusions sans attendre l’avis de fixation.
II. L’avis tardif et l’intimé
Selon un arrêt de la Cour de cassation du 22 octobre 2020[4], si la procédure à bref délai s’applique de plein droit, la signification des conclusions par l’appelant, même antérieure à l’avis de fixation, fait courir le délai pour conclure de l’intimé[5]. Cette règle constitue une embûche : l’avocat de l’intimé doit vérifier les hypothèses où l’appel relève de plein droit de la procédure à bref délai[6] car il devra, à peine d’irrecevabilité de ses conclusions, conclure dans les deux mois suivant la notification des conclusions de l’appelant et non dans le délai de droit commun de trois mois. Cette irrecevabilité n’est pas une sanction anodine puisqu’elle dynamite le principe du contradictoire, la cour ne pouvant tenir compte ni des conclusions de l’intimé, ni de ses pièces.
En vérité, la jurisprudence se montre aujourd’hui bienveillante dans l’interprétation des textes, n’hésitant pas à faire la chasse aux charges processuelles disproportionnées imposées aux parties, de nature à rompre l’équilibre entre le souci légitime de célérité de la justice et le procès équitable.
Le décret du 29 décembre 2023 pourrait donner du grain à moudre en vue d’un assouplissement de la jurisprudence précitée de 2020 (pouvez-vous préciser laquelle ?). Le nouvel article 906-1, alinéas 2 et 3, impose désormais à l’avocat de l’appelant de joindre, à la signification de la déclaration d’appel, l’avis de fixation délivré par le greffe. Sous l’empire des textes antérieurs, l’avis de fixation n’avait pas à être joint à la signification de la déclaration d’appel.
Si l’avis de fixation n’a pas encore été délivré lorsque l’avocat notifie ses conclusions, on ne saurait lui reprocher de ne pas l’avoir signifié. Pour autant, ne peut-on prétendre que l’absence d’avis de fixation a pu induire en erreur l’intimé dans le calcul de ses délais pour conclure : délai de droit commun de l’article 908 du CPC (trois mois) ou délai raccourci de l’article 906-2 (deux mois) ? La célérité de la justice ne se trouverait pas mise à mal par un écart d’un mois dans le dépôt des conclusions de l’intimé alors que la juridiction n’a toujours pas pris le temps de fixer l’affaire…
[1] D. n° 2023-1391, 29 déc. 2023.
[2] Cass. 2e civ., 12 avr. 2018, n° 17-10.105.
[3] D. n° 2017-891, 6 mai 2017.
[4] Cass. 2e civ., 22 oct. 2020, n° 18-25.769.
[5] Un mois à l’époque de l’arrêt, allongé à deux mois par l’article 906-2 du Code de procédure civile issu du décret du 29 décembre 2023.
[6] La liste des affaires relevant de la procédure à bref délai est dressée par l’article 906 du Code de procédure civile mais la liste n’est pas exhaustive : des dispositions spéciales peuvent également prévoir l’application de la procédure à bref délai (v. P. Gerbay, N. Gerbay et C. Gerbay, Guide du procès civil en appel 2025-2026, 2024, LexisNexis, p. 338).